Comment allez-vous… ?
Dans l’Haïti d’hier, dès qu’on prononçait « Comment allez-vous ? », en français ou en créole, la bienséance de rigueur entrait automatiquement en action : « Ca va bien/Nap kenbe». Voilà maintenant que depuis plus d’une vingtaine d’années, certaines formules ne sont plus automatiques dans notre langage. Personnellement, lorsqu’on me demande comment je vais, je réponds sans sourire « Nous sommes en Haïti». Récemment, j’ai pris le soin d’ajouter « Jusqu’à présent ». Vous imaginez la quantité de mini interrogations que cette dernière partie de la phrase entraîne ! L’année dernière j’apprenais qu’il convient, pour consolider tout curriculum vitae, d’inclure « Avoir vécu en Haïti » ….
Sur ces entrefaites, je me suis dit que le plus grand médecin haïtien est le docteur H.L. Pourquoi ? Par ce que, lorsque le 5 décembre 2016, le doyen de la FMP me le présenta, avant la poignée de main, le professeur de psychiatrie de l’université de Montréal H.L. me donna sa carte de visite. Dans mon auto évaluation, faite d’auto-estime parano et autres délires inexplicables, je constatais qu’enfin voilà un spécialiste qui avait rapidement flairé ma situation mentale réelle. Ah ! si je vous racontais ma terrible minute de jalousie dans une banque de mon quartier… A la section Service de la clientèle, je m’apercevais que ma banquière préférée accordait beaucoup d’attention à un jeune client, dont le discours alambiqué m’inquiétait. L’agent de sécurité m’expliqua que le dit client souffrait de « petits problèmes mentaux » et j’ai compris alors qu’il y avait « pire que moi ». Notre petite histoire rapporte que très peu de temps avant son départ, le président Dumarsais Estimé aurait confié au jeune secrétaire d’Etat Dr. François Duvalier, « Viendra pire que moi »…
J’ai souvent eu peur de formuler « Comment allez vous… ? ». N’avez-vous jamais reçu comme réponse un « Comment voulez-vous que j’aille ? », suivi d’un mini-Hiroshima d’explications qui annoncent inévitablement une succession de Nagasaki de commentaires, à la fois explosifs et meurtriers. Le lendemain de la publication de ma réflexion « Clinique de cardiologie », dans le voisinage immédiat de la clinique qui m’inspira, on assista à deux incendies majeurs, provoqués par des pneus enflammés déposés en pleine journée à l’entrée de deuximportantes institutions d’État. Je n’ai pas osé imaginer l’état d’esprit et du cœur des patients de la clinique, ce jour-là…
Comment allons-nous ? Et surtout, comment vont nos amis médecins ? Vous rappelez-vous dans l’Haïti d’hier, on entendait souvent le propos « je ne suis jamais allé chez le docteur ». Cela signifiait pour certains de jouir d’une santé plus que bonne ! Au pays de l’automédication par excellence, il faut beaucoup de sagesse pour comprendre. Avec le lourd package de susceptibilités qui entourent notre vécu quotidien, jusqu’à quand continuerons-nous de croire que nous allons bien?
Gilbert Mervilus, avril 2021 (Vol 1 Numéro 5 INFO GAZETTE MÉDICALE, page 11)
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