Contribution traditionnelle des politiciens haïtiens dans la construction de l’antihaïtianisme d’Etat en République Dominicaine
«Pendant l’occupation militaire américaine, la mentalité antihaïtienne persiste et demeure. Bernardo Vega a expliqué comment, depuis 1930, Trujillo s’efforce d’améliorer les relations avec Haïti. On peut donc affirmer que l’antihaïtianisme étatique s’interrompt jusqu’à l’assassinat des Haïtiens en septembre-octobre 1937. À partir de ce moment, l’État rassemble tout le contenu de l’antihaïtianisme historique et en fait le matériau fondamental de la propagande antihaïtienne. De nouvelles doctrines antihaïtiennes sont ensuite élaborées et l’État trujilliste convertit l’antihaïtianisme en un élément consubstantiel à la même interprétation officielle de l’histoire dominicaine». Frank Moya Pons, l’antihaïtianisme historique et l’antihaïtianisme d’État
«Empêcher l’émigration clandestine au prix des châtiments drastiques contre les embaucheurs est désormais la seule façon que nous ayons de combattre l’esclavage déguisé des Haïtiens dans la Partie de l’Est.» Jean-Price Mars
Grâce aux travaux des historiens Julio Jean-Pierre Audain, Leslie Péan et Gérard Jolibois, nous apprenons,«Sous le gouvernement de Vincent, c’est la sœur du président, Résia Vincent et un certain Luders qui débordent d’imagination pour créer les réseaux de recrutement des travailleurs haïtiens pour les firmes américaines ayant investi plus de 50 millions de dollars dans le secteur du sucre dans le pays voisin».
Dès son arrivée au pouvoir en 1930, Rafael Leonidas Trujillo y Molina s’imposerait comme principal importateur de la force ouvrière haïtienne. Le postulat alors émis par le capitalisme américain était clair: «tierras baratas en Santo Domingo, mano de obra barata en Haití» (Rapport du Dr. Francisco Henríquez y Carvajal en 1931, Ministro Plenipotenciario de República Dominicana en Haití).
Cette manne providentielle - «la diplomatie de la zafra» G.M.- allait offrir une extraordinaire source de revenus aux pouvoirs de Port-au-Prince pendant de nombreuses décennies.
En 1940, le général dominicain Anselmo Antonio Paulino Alvarez suggéra au «Benefactor»-président Rafael Trujillo le choix d’Elie Lescot comme président d’Haiti. Une fois que Lescot n’était plus à la hauteur des business du Benefactor, Trujillo a présenté la candidature de son protégé, le colonel Demosthènes Petrus Calixte, premier chef de la Garde d’Haïti. Cette manoeuvre a été détournée par le député Dumarsais Estimé.
Le 5 février 1952 le Général de division Paul Eugène Magloire inaugure la modernité zafratique. Désormais les parties disposent d’un instrument légal pour faire affaires. Dit instrument- des accords impeccables de vente d’haïtiens- sera repris et modifié le 14 novembre 1966 entre les gouvernements des Présidents François Duvalier et Joaquin Balaguer. Rappelez-vous que le Benefactor participa à la journée du 22 septembre… En 1957, d’ordre de Rafael Leonidas Trujillo, le colonel Johnny Abbes García, chef du puissant Servicio de Inteligencia Militar, est présent en Haïti pour financer et encadrer l’arrivée au pouvoir du Dr. François Duvalier (Santiago Estrella Veloz). Le 22 décembre 1958, Rafael Leonidas Trujillo et François Duvalier signèrent un pacte de protection mutuelle. Sur l’Ile, on cite le nom des architectes de cette entente politico-commerciale (se protéger et le négoce des braceros): colonel Johnny Abbes García et Clément Barbot, chef de la Police politique haïtienne. De décembre 1958 à l’assassinat de Trujillo en mai 1961, «[…] Duvalier gagnait entre 6 et 8 millions US dans la vente des braceros»
La lettre du dictateur Rafael Trujillo à Luc Fouché en date du 6 mai 1957 prouve que le caudillo dominicain imposait, aussi, sa volonté aux décideurs de l’Ouest: «Cher Monsieur Fouché,
Par suite du refus du Gouvernement Sylvain d’exécuter l’accord que j’avais avec le Gouvernement MAGLOIRE pour l’envoi de travailleurs en République Dominicaine, la moitié de la récolte de canne est restée sur pied cette année. C’est une réelle perte pour notre économie. […] M. Louis Déjoie que j’ai fait toucher, il y a trois semaines, par un intermédiaire fidèle, l’ami que vous connaissez, m’a fait répondre que ses représentants étaient gênés dans le Conseil par ceux d’un autre candidat et qu’il convenait d’attendre qu’il eut fait son travail d’élimination. […]»
Concluons avec Péan: « Ces pratiques de négriers […] jusqu’en 1986 . Le recyclage du malheur haïtien demande de persévérer en répétant ces vérités et en ne laissant pas des zélections embrouiller notre discernement. Il faut surtout protéger les complices internationaux des mascarades électorales des deux côtés de la frontière.
Le dernier paiement effectué par les Dominicains fut de 2 millions de dollars qui furent transportés le 14 janvier 1986 dans deux valises de cuir au palais national en Haïti. Cette mission fut exécutée par un général et deux colonels dominicains accompagnés de l’ambassadeur haïtien […]. Cette somme disparut avec le renversement de la dictature le 7 février 1986 sans que les coupeurs de canne ne soient envoyés en République Dominicaine. Le Conseil National de Gouvernement (CNG) prétendit ne rien savoir de la transaction. Mais le gouvernement dominicain ne l’entendit pas de cette oreille et manifesta énergiquement son mécontentement. Après deux mois de tractations, le gouvernement du Général Henry Namphy donna l’ordre à la Banque de la République d’Haïti de rembourser les deux millions de dollars au Conseil d’État du Sucre» ( Leslie Péan, L’ensauvagement macoute et ses conséquences, p. 528.)
Gilbert Mervilus, 22 septembre 2019
Ref: Clôture du séminaire «Les deux nations de Quisqueya: les relations haïtiano-dominicaines au tournant du siècle» prononcée par Frank Moya Pons à l’invitation de l’Institut des Études dominicaines de l’Université de New York (CUNY), au City College de New York, le 8 décembre 1995. Adaptation du texte espagnol «Antihaitianismo Histórico y Antihaitianismo de Estado» par G.M.
Correspondance du 1er février 1949 entre Jean Price Mars, ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine et le président Dumarsais Estimé
Leslie Péan, AlterPresse,Haiti-Rép. Dominicaine : Une responsabilité partagée dans le crime (3 de 3),vendredi 18 octobre 2013 & Julio Jean-Pierre Audain, Les ombres d’une politique néfaste, Mexique, Imprenta Arana, 1976, p. 125.
UNITED PRESS INTERNATIONAL. Revelan contrato entre dictadores Duvalier y Trujillo.Listín Diario, LXXVI, (17745). 23 agosto 1964: p. 3
Dr. Fritz N. Cinéas, Le Nouvelliste, 2007–09–21
La «diplomatie de la zafra» et le «zafratisme»: néoligismes qui aident à comprendre les sombres écritures financières entre politiciens de l’Est et de l’Ouest. Gilbert Mervilus