Collection Thérèse Montas, vers 1920; NSU Art Museum Fort Lauderdale

Le 6 juillet 1948… à la rue du Centre

Don Gilberto

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«La polémique s’engageait donc sur le ton batailleur et l’esprit militant qui convenaient bien à cette époque d’affrontements passionnés sur les thèses coloristes, quand elle entra soudain dans une spirale sanglante assez révélatrice de la violence des sentiments quant à la question de classe durant la présidence d’Estimé. Le jeune Viau (18 septembre 1924 –6 juillet 1948), s’étant secrètement armé du revolver de son père, alla à la rencontre de Jean Rémy, le directeur de La République. Ce matin du 6 juillet 1948, après avoir conduit Henri, son aîné, à l’Institut Saint-Louis de Gonzague, Rémy était resté dans sa voiture devant l’Imprimerie de l’État, ses enfants Nicole et Raymond installés sur le siège arrière quand, ivre de colère, Viau l’interpella, lui demanda si c’était bien lui le directeur de La République [et de l’Imprimerie de l’État, note de GM].

Après un bref dialogue, Gérard Viau vida le contenu de son chargeur en tirant à bout portant sur son ennemi. Sans même tenter de s’échapper, il se laissa maîtriser par les employés de l’imprimerie et par la foule des curieux qui s’amassaient sur les lieux du drame. Pendant que des soldats sortaient du proche Pénitencier national afin d’appréhender Viau et le conduire en cellule, on transportait Rémy à l’Hôpital général où, très vite, il succomba à ses blessures. Le président alla visiter cet ami afin de lui apporter un témoignage public de considération, d’affection et de soutien. «Quand les nouvelles parvinrent à Estimé, nous dit Lyonel Paquin, il répondit instantanément : « L’assassin est-il encore vivant? » (Les Haïtiens, politique de classe et de couleur, p.103) Peu après, Gérard Viau était reconduit menotté sur les lieux de l’attentat. C’est là que l’attendait un groupe de jeunes militants estimistes surexcités qui l’écharpèrent sauvagement avec les armes les plus hétéroclites : couteaux de cuisine, pics à glace, poignards et coups-de-poing américains. Le jeune Viau s’effondra sous les coups et mourut sur le trottoir, sans que les dizaines de soldats qui l’entouraient aient même tenté de faire un geste pour le protéger». Extrait de L’affaire Viau-Rémy, Charles Dupuy, Publié le 2020–12–29 | Le Nouvelliste

Photo: gilbertmervilus, 28 octobre 2018

Extrait de la version de Marcel Salnave, Reminiscences… ,sa page Facebook, 16 juillet 2019

«Quelque temps après, Estimé me téléphone. Il s’agissait d’intervenir auprès de Laraque, au sujet d’une Bourse d’Etudes accordée à Gérard Viaud, lauréat de la Faculté de Droit, ce à quoi Laraque s’oppose, voulant que la Bourse aille de préférence au fils de son bon ami Jean Rémy. A la fin de notre conversation, Estimé me dit :

– Salnave, il ne faut pas vous fâcher de ce que je vais vous dire. Vous n’êtes pas seulement un partisan, vous êtes aussi un ami sincère de qui je prends parfois des conseils. Quand un Chef d’Etat vous entretient d’un sujet, il faut dire juste ce qu’il faut, et garder le reste pour soi.

– Merci de la leçon Excellence!

Sur ces entrefaites, Jean Rémy et Gérard Viau ont commencé à se lancer des pointes peu flatteuses. Ironie ici et là. Une vraie polémique vient prendre place à ce qui n’était d’abord que propos déplaisants. La polémique, chaque jour, devient plus menaçante et semble n’avoir d’autre issue que le sang.

Un jour, Jean Rémy descend de de sa voiture en stationnement devant l’Imprimerie de l’Etat dont il était le Directeur, accompagné de trois de ses amis qui étaient devenus comme ses gardes de corps. Au moment d’entrer à l’Imprimerie, il est interpellé par Gérard Viaud qui le tue d’une balle de revolver. Les amis de Jean Rémy ont le temps de le maitriser. Après un court interrogatoire, le jeune Viaud tombe inanimé, sur les marches de l’Imprimerie, transpercé de plusieurs balles».

Le Nouvelliste, mercredi 7 juillet 1948, page 1

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