Le plus fascinant cadavre de l’histoire d’Haïti
Le jeudi 22 avril 1971, l’avenue des Marguerittes est déserte, lorsque mon père m’accompagne à l’école. Il cause avec le directeur, pendant quelques bonnes minutes. La cour de l’établissement est vide. La veille, au soir, on annonça à la radio le décès du père de la révolution. Rien n’avait encore été dit tôt le lendemain matin, quant au chômage. Quinze ans plus tard, en 1986, Marc Vital très âgé me confia: “Viendra un moment où on ne parlera que de Duvalier”. Inspecteur en chef de la région frontalière dès 1958, il avait beaucoup vu, lu et vécu. Il m’avait encouragé à étudier la présidence de John Fitzgerald Kennedy, dont l’administration souhaita réorganiser les FADH et réorienter les VSN, s’ils parvenaient à renverser Duvalier.
«Mais Duvalier s’est avéré un dur à cuire pour le pouvoir américain, probablement parce qu’en plus de contrôler économiquement, politiquement et militairement la patrie de Toussaint Louverture, il était aussi un chef religieux magique, dans lequel le peuple voyait la capacité de le subjuguer dans cette vie comme dans la suivante. Ce pouvoir que détenait le médecin haïtien, le généralissime dominicain Rafael Trujillo ne l’a jamais eu». Frank Núñez
Au départ du général Paul Eugène Magloire (déc. 1956), l’Armée éclate en pro-Magloire, pro-Levelt (Antoine Levelt, chef d’état major), pro-Marcaisse Prosper (chef Police PauP). Le 22 octobre 1957, l’institution apparait pro-Duvalier. Par manque d’évaluation objective du subtil idéologue et fin calculateur, Washington et le duo Eisenhower-Dulles échouent, concernant le nouveau chef d’Etat. François Duvalier parviendra à s’imposer comme « Chef Suprême et effectif des Forces Armées, des forces de Police et des Volontaires de la Sécurité Nationale».
Il était à la fois disciple de Charles Maurras (1868–1952), droite dure française, «monarchiste, nationaliste intégral»; avec un parfum de «cagoule»…; de Leo Frobenius (1873–1938), qui «eut une grande influence sur les théoriciens et poètes de la négritude»; un des premiers ethnologues à remettre en cause les bases idéologiques du colonialisme, en contestant notamment l’idée que les Européens auraient trouvé en Afrique des peuples véritablement sauvages, auxquels ils auraient apporté la civilisation (Wikipédia).
64 ans plus tard, avec l’explosive prolifération des sous-systèmes, le simple citoyen se sent au bord du précipice, atrocement désamparé et quotidiennement abandonné! Le service public n’existe pas et tout fonctionnaire responsable se sent très mal à l’aise dans ce système. Ce n’est point par hasard que l’on fredonne «Duvalier était une Ecole, mesdames et messieurs»…
Après «tisoldats» (fin décennie 80), «ninjas» (1992–94), «rat pa kaka», «gren nan bouda », le corps social a encaissé, sans trop comprendre… En 2021, les clans et gangs n’ont plus d’épiderme; celui-ci donnait une couleur aux évènements, d’après Charles Dupuy (affaire Calixte/Armand). En avril 2021, c’est à dire 50 ans après avril 1971, François Duvalier grimace là où il se trouve: dans l’action, qu’il soit de droite ou de gauche fictive, tout le monde souhaite ressembler à François Duvalier, surtout dans ses défauts. Il y a 50 ans, François Duvalier décéda. Ineptie, maladresse et crétinisme des successeurs de l’après Jean-Claude, le nom “Duvalier” a pris une dimension qui étonnerait le Docteur Duvalier lui-même!
Gilbert Mervilus, 20 avril 2021
Notes: «François Duvalier aurait laissé des ordres pour que son décès soit annoncé ce jour-là, bien qu’on pense que le dictateur soit mort plusieurs jours auparavant» (Rezo Nòdwès,21 avril 2020)… Ces commentaires (?) ne manquèrent pas… Hier, aujourd’hui et certainement demain!
«Encore aujourd’hui, la société haïtienne porte les stigmates du duvaliérisme. La population est livrée à elle-même, abandonnée par des élites politiques et économiques qui ne vivent que pour elles-mêmes». L’Humanité, 7 Février 2016
En saluant votre travail de profonde qualité, je m’interroge, comment la plupart des représentants de notre secteur dit «démocratique» soient fascinés par les pratiques de «1957»? Faudrait se permettre de croire, l’ombre de l’idéologue François Duvalier inspire à un niveau certain, ce que l’éminent éditorialiste Bob Néré qualifierait de «politique des autres». G.M. Billet à Me. Jehan Colimon (Auteur de «Pour que vive la mémoire»), 5 novembre 2016
