L’incendie du 4 juillet 1888 à Port-au-Prince
«L’incendie du 4 juillet 1888 à Port-au-Prince. Le 4 juillet 1888, vers une heure de l’après-midi, le feu se déclara à l’étage supérieur de la Chambre des Députés de la Rue des Casernes, alors en pleine session.
Paralysée par la crainte d’évènements politiques possibles, la population ne prit aucune part à la lutte contre le feu.
Mais le clergé, les pompiers libres, les officiers et marins du navire de guerre français “Le Bisson” et ceux du transatlantique “La Ville de Nazaire”, conduits par le ministre de France, le comte de Sesmaisons, parvinrent, après quatre heures d’efforts acharnés et grâce à une saute de vent, à arrêter la marche du fléau.
Plusieurs édifices publics disparurent dans les flammes : la Chambre des Députés, l’Ecole secondaire, l’Ecole Nationale de Droit, le Bureau de la Place, le Ministère de l’Intérieur avec la plus grande partie de ses archives, l’Imprimerie Nationale avec son matériel et le Tribunal Civil avec ses archives.
L’Institution Saint Louis de Gonzague, en construction, fut préservée grâce à l’énergie des religieux et de leurs ouvriers.
Plusieurs quartiers de la ville furent consumés. De nombreuses familles sans pain et sans logis.
Source texte : Georges Corvington
Photo : Aspect de la Rue des Casernes après l’incendie du 4 juillet 1888. (Source: Georges Corvington) », Christine Mathurin, Facebook 18/7/2024
Compte rendu des incendies de Port-au-Prince à la veille du départ de Salomon.
M. Thompson à M. Bayard.
[Extrait]
N ° 192. LÉGATION DES ÉTATS-UNIS, Port au Prince, Haiti, 8 juillet 1888.
MONSIEUR. :
Lors de la session de la chambre des députés, le mercredi 4 du mois courant, à midi, un inconnu a mis le feu à l’étage supérieur de l’édifice de l’Assemblée Nationale, et en quelques minutes seulement, les flammes se sont propagées pour ravager toutes les autres salles, y compris le rez de chaussé. Une forte brise, à ce moment-là, soufflait en direction de la mer, le feu, de cette façon, a détruit environ un dixième de la ville. L’immeuble du département de l’intérieur et une dizaine de maisons appartenant au ministère ont été totalement détruites. Poussé par le souci du devoir, j’ai gardé chez moi, durant la durée de l’incendie, à leurs risques et périls, quelques un des archives du ministère.
Le Département militaire de la place est totalement détruit, ainsi que la résidence privée du Ministre de la guerre. L’église épiscopale, la demeure de l’évêque d’Haïti, le nouveau bâtiment de la faculté de droit, inauguré seulement la veille, le Palais de Justice, l’imprimerie gouvernementale, le tout emporté par la proie des flammes. On estime à 400 bâtiments de cette partie de la ville à disparaître dans l’incendie. Le vent continuait de souffler en direction du bord de mer; on craignait que l’Arsenal qui abrite des munitions n’explose.
Heureusement la grande distance séparant les bâtiments en flamme, et les précautions prises à ce moment-là, ont permis au feu d’arrêter de se propager, sans autres dégâts.
Hier, à 10 heures du matin, quelqu’un a mis le feu à la résidence privée du Ministre de la Justice. Un vent terrible soufflait, poussant les flammes dans la direction du rivage. Chaque maison de ce quartier a été totalement détruite et si l’incendie s’est arrêté c’est parce qu’il n’avait plus rien trouvé sur son passage. Le navire français “Le Bisson” était dans le port; il a fallu le concours de M. le Comte de Sesmaisons, le Ministre français, et le dévouement des officiers et marins du navire, conduits sur les lieux du sinistre pour arrêter la propagation du fléau. Ils ont travaillé courageusement et par leurs efforts persistants, ont réussi à sauver plusieurs édifices d’importance.
Je peux dire qu’au moins un cinquième de la ville est maintenant en ruine. Des gardes sont placés de jour comme de nuit dans des postes d’inspection à tous les coins de la rue.
Le Ministre français a placé un officier à l’entrée de sa légation et a offert un certain nombre de ses officiers à la légation britannique pour faire la garde. Il a proposé d’en faire de même pour notre légation, mais je l’ai assuré que nous pouvions très bien faire sans. Il y a eu quelques arrestations. Si les personnes arrêtées sont trouvées coupables, elles seront probablement exécutées. Quel sera le résultat? Est-ce que leurs amis n’utiliseront pas d’autres moyens pour se venger, et mettre, plus en péril, la vie et les biens des gens? Le gouvernement est-il suffisamment fort pour prendre des mesures appropriées? Beaucoup d’autres questions encore agitent l’esprit de chacun.
Accompagné du représentant de la France et de la Grande-Bretagne, j’ai eu un entretien, hier soir, avec le président Salomon. Il m’a fait part de sa décision de prendre certaines mesures qui, selon lui, rétabliraient l’ordre; que de toutes les autres villes, seule Port-au-Prince était en état d’agitation. Il ajouta qu’il savait de fait que des étrangers, forts de leur immunité diplomatique, complotaient contre son gouvernement et l’ordre public; qu’il se fera le devoir de les expulser hors du territoire haïtien, de la même façon qu’il a été contraint lui-même de quitter Kingston, Jamaïque, lorsque le gouvernement haïtien l’a accusé de comploter contre le pouvoir en place.
Il faut de toute urgence qu’un navire de guerre soit mis à notre disposition car tout le monde ici est sur le “qui vive”, et s’attend, à tout moment, à ce qu’une nouvelle catastrophe se produise.
Dans la série des incendies, il y a eu le feu allumé à l’étage supérieur de la chambre des députés, qui, par suite de la proximité, a détruit la résidence du Ministre de la Guerre; trois jours plus tard, c’était le toit de la maison du Ministre de la Justice qui partait en fumée, et l’on prétend que la maison privée du ministre de l’Intérieur, située à l’autre extrémité de la la ville, ne se trouve jusqu’ici épargnée que par suite d’une stricte surveillance.
Hier, lors de l’incendie, l’odeur du pétrole a été remarquée partout. Il est rapporté que plusieurs suspects ont été capturés ayant en leur possession du matériel incendiaire qui prouve leur complicité dans les événements de ces derniers jours.
« Plusieurs autres personnes qui ont été trouvées en train de mettre le feu seront jugées, et exécutés séance tenante, s’ils sont reconnus coupables. Je prendrai les mesures les plus sévères pour protéger l’ordre public », a déclaré le président aujourd’hui dans son allocution.
J’ai etc.
JOHN E. W. THOMPSON.
Traduction de M. Salnave ; Marcel Salnave, Facebook 13/8/2020
Documentation: G.Mervilus, 19/07/2024