Petite histoire d’une grande combattante: Jeanine Durand Millery
Je fis la connaissance de tante Jeanine, quelques mois après la mise à l’écart des principaux représentants physiques d’une de nos dictatures. C’est à dire Jean-Claude, Michèle son épouse et sa maman Simone, laissaient le pays; pour permettre au duvaliérisme de mieux respirer!
Jeanine venait de passer vingt-huit ans en exil (depuis 1958). Considérant les procédures de l’époque, je présume qu’elle avait certainement perdu sa nationalité, sur simple communiqué de la présidence. Son distingué mari, Monsieur Charles, représentait ce que nous pourrions convenablement appeler l’ombre fraternelle du célèbre agronome, Louie Déjoie père, candidat malheureux d’une de nos plus fameuses élections présidentielles.
Presque deux décennies après son retour d’exil, vers 2006, tante Jeanine avait encore assez de courage pour affronter les traditionnelles magouilles, renforcées par la nouvelle classe gouvernementale et leurs associés aux inquiétantes allures de vampires, armés de redoutables mâchoires, comme celles des requins-tigres.
Elle prenait plaisir, avec le beau sourire d’une ancienne actrice du temps des reines et princesses de choc Hollywoodiennes, à nous raconter l’histoire de chaque mètre carré de ses propriétés et toutes les péripéties endurées, dans les branches des tribunaux et de l’administration. L’exécution des ordonnances, la correspondance avec les avocats, les exposés magistralement documentés semblaient mystérieusement n’avoir aucune signification pour un Etat, apparemment impuissant, dès qu’il s’agissait des intérêts de citoyens, lesquels n’appartiennent pas au premier cercle.
Courtiers du pouvoir, directeurs de banques et gangsters gracieusement patentés lui adressaient de formidables compliments téléphoniques accompagnés d’intentions d’achat…
Dès cinq heures trente, après ses prières et son café, elle révisait l’une des épaisses chemises, d’impeccable calligraphie. Ces titres de propriété avaient considérablement voyagé. De retour, là même où ils avaient été rédigés, plusieurs décennies auparavant, ils excitaient la convoitise des brigands de la basoche, ainsi que les dignitaires récemment promus, qui se bousculaient pour essayer d’inscrire à leur patrimoine, des morceaux considérables d’héritage foncier, d’une riche famille du temps de la colonie de Saint-Domingue.
Malgré l’excellent décret de restitution publié vingt-quatre heures après le départ de la dictature (février 1986), pendant vingt-cinq ans (1986–2011), madame Jeanine Durand Millery, ne se fatiguait pas d’adresser des requêtes, généralement…, sans réponse: Madame J…, propriétaire demeurant et domiciliée à Pétion-Ville, Frères, identifiée au No., agissant tant en son nom personnel qu’en qualité; ayant pour avocats plusieurs; a l’honneur de vous exposer ce qui suit, etc.
A plus de 80 ans, elle était devenue une de mes idoles.
Gilbert Mervilus
19/06/2013- 29 mai 2016
Notes: «Le Parti Agricole Industriel National (PAIN) est endeuillé avec le décès de sa coordonnatrice nationale, Madame Jeanine Durand Millery dans la nuit du 25 au 26 Avril 2014, à l’âge de 90 ans suite à des complications cardiaques, a appris Haiti Press Network»
Photo:Madame Jeanine Durand Millery, hpnhaiti.com