Pourquoi la Gendarmerie préconisée par le Président de la République ne convient pas

Don Gilberto
6 min readJun 19, 2020

Publié le 2006–11–15 | Le Nouvelliste

La Gendarmerie est un corps militaire qui s\’occupe de questions de police. Dans le contexte actuel, elle ne convient pas pour trois raisons principales :

  1. La Gendarmerie est un corps de Police à statut militaire. Elle va vouloir s\’occuper de questions de police. Personne ne pourra lui en faire grief. Elle est là pour cela. C\’est sa mission. Créer une gendarmerie équivaudrait à créer à grands frais une sorte de PNH-bis qui ferait double emploi avec la PNH, et qui voudrait empiéter souvent sur les attributions de cette dernière. On peut de la sorte augurer que des conflits avec la PNH seront inévitables.

2)Les Forces Armées d\’Haïti étaient en fait une Gendarmerie, c\’est-à-dire un corps militaire de police créé en 1915 par la première Occupation sous le nom de Gendarmerie d\’Haïti. C\’est cette Gendarmerie qui a changé de nom en trois fois sans changer de nature. En effet, la Gendarmerie d\’Haïti s\’est appelée Garde d\’Haïti en 1928, Armée d\’Haïti en 1947, Forces Armées d\’Haïti en 1958, sans pour autant subir de changements structurels majeurs. Une des revendications des nationalistes lors des élections législatives avortées de 1924 était la dissolution pure et simple de cette gendarmerie d\’Haïti et la reconstitution de l\’ancienne force publique haïtienne démobilisée en 1916, dans ses deux composantes militaire et policière. Une des revendications de la révolution de 1946 était la séparation de la police et de l\’Armée, et la Constitution de 1946 entérina ce fait sur le papier. Les lois de séparation de la police et de l\’armée furent votées en 1947 et publiées dans Le Moniteur la même année. Ces lois ne furent jamais appliquées. Leur application, impliquerait la disparition de la gendarmerie de l\’occupation, de cette force hybride dont le modèle avait été rejeté par la Constitution de 1946. Dans un ouvrage collectif intitulé « Les Iles Caraïbes », une bonne description est donnée de cette défunte gendarmerie, c\’est-à-dire des FADH telles qu\’elles existaient lors de la seconde Occupation et telles qu\’elles ont été démobilisées en 1995. « Après l\’intervention américaine en 1915, l\’une des premières actions de la force d\’occupation a été de détruire l\’armée d\’Haïti. Celle-ci fut remplacée par une police militaire, la gendarmerie… Plus tard, la Gendarmerie, commandée, vêtue et armée par les étrangers, a été dressée contre la nation haïtienne, dans le but affiché de maintenir l\’ordre. En réalité son rôle était tout autre : servir d\’armée indigène d\’occupation. Historiquement, cette force militaire réformée s\’est, dès le départ, constituée sous couvert de professionnalisation, en instrument d\’abus de l\’Etat contre la nation. Et si sa dénomination a changé à plusieurs reprises, il existe une continuité certaine entre la gendarmerie transmuée en garde d\’Haïti et les forces armées d\’Haïti commandées par le général Raoul Cédras jusqu\’à ce que ce dernier renonce au pouvoir en 1994 sous la pression des Américains. Les FADH ont donc continué à s\’aligner sur les Etats-Unis après avoir rallié les Forces d\’Occupation dont elles sont l\’émanation en vue de combattre les Haïtiens entrés en résistance ». Créer une nouvelle gendarmerie serait retourner le pays en 1915, à la situation qui existait en Haïti en matière de force publique entre 1916 et 1995, et faire fi d\’une revendication populaire antérieure même à 1946 qui était très claire sur le rejet d\’un modèle de force publique et qui affirmait que ce n\’était pas le rôle de l\’armée que de faire la police. On n\’aurait eu qu\’à garder les FADH en 1994, car elles étaient déjà une gendarmerie.

3) Cette éventuelle gendarmerie qui est préconisée par le Président de la République voudra s\’occuper de questions de police avec des procédés militaires. Ce ne sera pas sa faute parce qu\’elle est armée et police à la fois. C\’est exactement ce que faisaient les FADH vis-à-vis de la population civile, pour les mêmes raisons. Thomas Madiou nous fait savoir dans le Tome VI de son « Histoire d\’Haïti », que l\’Haïtien n\’aimera jamais l\’homme de police: \” l\’homme de police, le gendarme, même les fonctionnaires représentaient pour eux l\’espionnage et l\’ennemi » (p 86). Et cette situation est pire quand l\’homme de police exerce son ministère sur la population avec des procédés militaires. A preuve de ce que nous avançons, nous rappelons que le peuple haïtien n\’avait aucun problème avec les aviateurs, les marins, , les hommes du service du santé, du corps du génie, des transmissions, les officiers d\’administration des FADH, mais bien avec la police en bleu de l\’aire métropolitaine et les unités d\’infanterie en kaki qui étaient en garnison à travers les neufs (9) départements géographiques du pays et qui s\’occupaient de questions de police. En plus de cela, il faut signaler que les chefs de section et leurs adjoints qui ont fait couler tant d\’encre étaient en fait le dernier échelon de l\’ancienne gendarmerie nationale haïtienne créée par Pétion en 1807 et dont la dernière mouture datait de 1874, qui exerçait la police dans les zones rurales et qui était un corps de police à statut militaire, entièrement démobilisé en 1916 et qui avait été rappelé au service par l\’occupant en 1918, parce qu\’il lui était impossible de faire contrôler efficacement les zones rurales par ses supplétifs en kaki de la gendarmerie d\’Haïti. Nous plaidons pour l\’instauration d\’une section spécialisée de police rurale au sein de la PNH, mais il demeure entendu que ces policiers devraient être des civils et opérer avec des méthodes civiles. Edmond Paul qui avait déjà bien cerné cette problématique écrivait déjà : « Borner le régime militaire aux choses de l\’armée et réorganiser la force publique sont au double point de vue de la sécurité intérieure et extérieure, deux réformes ou mesures inéluctables, pour que l\’on veuille en même temps arracher le pays aux angoisses de ses habitudes soldatesques et laisser son développement matériel, aussi bien que les droits précieux des citoyens, s\’épanouir librement sous la garantie effective des lois ». Une gendarmerie, compte tenu de ces considérations, ne conviendrait pas pour le type de force militaire dont la République a besoin maintenant pour préparer le départ futur de la MINUSTAH, et dont le président Préval lui-même reconnaît la nécessité tout en se prononçant pour le modèle de gendarmerie. Il faut travailler à convaincre le président Préval qu\’il est simplement dans l\’erreur sur ce point. L\’ONU elle-même ne s\’y est pas trompée. Il existe des gendarmes dans la MINUSTAH, gendarmes français, gendarmes mauriciens, gendarmes turcs. Ils font tous partie de la composante policière de la MINUSTAH, pas de sa composante militaire. Les effendis portent même une plaque métallique sur la poitrine où est inscrit le mot « POLIS » en turc. « POLIS » en turc veut dire « police ». Le mot à la même orthographe « polis », au moins dans trois langues : suédois, turc, créole haïtien. Quand la MINUSTAH comptait des gendarmes espagnols de la guardia civil (il y avait aussi de superbes gendarmettes espagnoles), ces gendarmes de notre première métropole étaient de la même manière versés dans la composante policière de la MINUSTAH. Avec une gendarmerie nationale, pourquoi nous doterions nous d\’une PNH bis à statut militaire, qui doublerait la PNH à statut civil ? Cela ne fait pas beaucoup de sens. Les choses policières aux policiers, les choses militaires aux militaires, et les boeufs seront bien gardés!

Georges Michel

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