Quelle langue parlait Toussaint Louverture?
Le mémoire du fort de Joux et les origines du kreyòl haïtien par Philippe R. Girard
Aborder Louverture par le biais de son profil linguistique permet de contourner cet obstacle. Né de parents aradas dans une colonie française des Antilles, il vivait à l’intersection de trois mondes (africain, américain, européen) mais il était loin de les placer sur un pied d’égalité. En reléguant l’ewe-fon au second plan, il enterre les interprétations panafricaines de sa carrière. Contrairement à certains planteurs autonomistes du XVIIIe siècle ou aux nationalistes haïtiens d’aujourd’hui, il n’utilisait pas le kreyòl pour affirmer sa fierté d’être créole, ce qui va à l’encontre des thèses faisant de lui un proto-indépendantiste. La langue qu’il privilégiait à l’écrit et parfois même à l’oral était celle qu’il associait à la promotion sociale, la langue d’un système colonial dont il ne parvint jamais à s’échapper : le français. Plus exactement, il parlait et écrivait le français laborieux, presque honteux, d’un homme en pleine ascension sociale, celui d’un provincial qui débarque à Paris plein d’ambition et tente tant bien que mal de cacher son accent.